Partout en Europe, sous les assauts répétés des politiques d’aménagement, la ville se lisse, s’embourgeoise, s’uniformise. Cette transformation se fait au prix d’une exclusion des classes populaires, repoussées toujours plus loin des centres-villes.
L’élection de Marseille en 2013 au titre de « Capitale Européenne de la Culture » a permis une accélération spectaculaire de cette mutation. Là où brutalité et pelleteuses avaient pu cristalliser les résistances, les festivités, parées de l’aura inattaquable de « la Culture », nous ont plongés dans un état de stupeur. Elles n’ont laissé d’autre choix que de participer ou de se taire.
À PROPOS DU FILM
Par Jean-Pierre GARNIER (Sociologue et urbaniste)
Le film montre les différentes facettes d’un processus
global de dé-civilisation urbaine fait de dislocation
territoriale, de désintégration sociale et d’aliénation
culturelle. Ce à quoi on assiste, c‘est à une restructuration
néo-libérale et sécuritaire du tissu urbain, en cours dans
presque toutes les villes européennes, pour expulser et
disperser au loin les couches populaires.
Mais le film incite en outre à s’interroger sur
l’importance croissante accordée à la mise
en scène culturelle et touristique d’une
ville par ses gestionnaires. La mise en
avant de la culture - ou plus
exactement du « culturel » - ne sert
pas seulement à la valorisation
marchande de l’espace urbain. Il y a
une autre finalité, plus directement
idéologique : dans des sociétés à
court d’idéaux et d’utopies
susceptibles d’ouvrir vers l’avenir, il
s’agit aussi de réenchanter un présent
sans perspectives à l’aide d’artéfacts souvent burlesques et
toujours dérisoires.
En fait, on gouverne à la culture ou au ludique. « L’ impératif
culturel », la « démocratisation de la culture » c’est un nouveau
régime de gouvernementalité, comme disait Foucault. Il sont
censés, en fin de compte, conférer les apparences d’une société
au monde atomisé d’étrangers les uns aux autres – quand ils ne
sont pas hostiles – dans lequel nous vivons. Cette obsession du
rassemblement, ce souci pour la suspension des divergences –
dont MP 2013 fut un moment culminant – est le propre d’une
société désagrégée, obsédée par les fractures innombrables qui la
traversent et la décomposition qui la menace.
On le voit bien au travers de la séquence où un troupeau de
moutons circule « en transhumance » sur une voie longeant le
Vieux Port, bordée d’une foule de spectateurs enthousiastes ou
ahuris. Elle laisse entrevoir sur le mode humoristique à quel rôle la
« culture » officielle réduit ces derniers : celui d’un cheptel docile
incité à « participer » de manière grégaire aux jeux organisés par
les autorités, dans l’ignorance totale de ce qui est en train de se
jouer à Marseille.