Peintures et sculptures.
Plutôt que la perfection des corps (laquelle, du reste, n’existe évidemment pas), l’artiste recherche leur expression. Par « expression », je n’entends pas je ne sais quelle joliesse ou gracilité des poses, mais une réalité corporelle qui imposerait à nous sa présence jusqu’à nous troubler, nous déranger, voire nous indisposer : créatures grotesques des cathédrales gothiques, corps exacerbés d’Egon Schiele, nudités obscènes de Jean Rustin, humanités hybrides d’Enki Bilal, chimères fantastiques de l’heroïc fantasy… D’un paysage aux formes irrégulières, on dit généralement qu’il est « tourmenté ». De ce point de vue, les sculptures de Markus Nine sont effectivement pleines de tourments. Le brutalisme de leurs matériaux (treillis métallique, ciment, colles acryliques, polyuréthane) renvoie à une certaine brutalité non seulement de la facture, mais encore du regard. Aux rondeurs séductrices est préféré ici le chaos d’une chair bosselée et tuméfiée, d’une peau aussi malléable qu’un drapé. Parcourus d’accidents, ces corps sont mouvementés. S’ils sont mouvementés, c’est qu’ils relèvent bien entendu du mouvement : mouvements de l’enveloppe charnelle, mais mouvements du cœur et sursauts de la psyché.
Chats étiques, gargouilles grimaçantes, gnomes inconvenants et humains pathétiques : sous l’apparence des corps, Markus Nine sculpte l’intériorité des êtres (la folie tapie tout au fond de nous et qui nous conduit, l’étincelle de vie qui soulève nos carcasses depuis leur dedans), ce moment de nouaison où l’énergie passe… Qu’est-ce qui anime le corps ? Les Romains avaient un terme pour désigner le principe vital ; ils le nommaient anima, qui veut dire « souffle ». Ce qui nous anime, c’est l’anima. Ce terme a donné un mot, en langue française. Et ce mot-là, c’est « l’âme ».