Tout le monde s’affaire pour les préparatifs, c’est bientôt l’heure de la messe, je dois passer des habits propres et me curer les oreilles tandis que ma grand-mère met le civet de lapin à mijoter sur le coin de la cuisinière.
Nous n’y allons pas chaque dimanche, mais aujourd’hui c’est Pâques, une fête importante. Ma tante reste à la maison, elle garde la ferme, de toute façon ce serait trop compliqué pour l’amener à l’église avec son fauteuil. Vu que ma tante et mon oncle de la ville sont ici, deux voitures sont nécessaires pour transporter toute la famille. On se donne un dernier coup de peigne pour parfaire une hideuse raie sur le côté.
L’église n’est pas très loin, juste après le cimetière, à côté de l’école. De l’extérieur elle n’est pas vilaine, ses murs de pierres ont de l’allure, à l’intérieur elle est parfaitement banale avec ses statues délavées et ses quelques croûtes édifiantes, il n’y a guère que le vitrail au-dessus du chœur qui présente un intérêt quand le soleil l’atteint.
On se dépêche pour ne pas être un de ces retardataires qui fait sursauter et se retourner tous les paroissiens en faisant claquer la lourde porte.
Il fait toujours aussi froid malgré les nouvelles rampes de chauffage au gaz qui rougeoient et ronflent au-dessus de nos têtes. Chacun s’installe en silence sur les bancs en bois qui grincent, on reprend en gros les mêmes places, c’est comme à l’école. Contre la promesse d’une bonne conduite, j’ai pu m’installer sur le même banc que mon cousin, et la voisine nous a rejoints.
On reste sérieux quand même car l’ambiance nous intimide un peu, c’est plus studieux qu’à l’école. Il faut bien observer les autres pour se lever et s’asseoir au bon moment, c’est la honte si on est désynchronisé. A force, on a repéré certains signaux qui permettent de ne plus avoir de temps de retard. Je réagis surtout à l’oreille, parce que même en me dressant sur la barre du repose-pied, j’ai du mal à observer les gestes du prêtre et de ses enfants de chœur. Nous ne sommes pas au premier rang, il est réservé aux infirmes, aux intervenants et aux personnes les plus pieuses, au fond se trouvent les cancres et les retardataires, là aussi c’est comme à l’école, notre place se situe dans le milieu de l’assemblée.
Vient le moment pénible des chants collectifs, il est bien vu de participer alors j’ouvre un peu la bouche pour émettre quelques vagues sons en sourdine, mais j’évite de chanter, j’ai une voix de chiotte.
Le rituel se déroule comme d’habitude, avec quelques variantes pour l’occasion. Je commence à avoir froid et je trouve que les récitations s’étirent interminablement, je remettrais bien mon bonnet.
J’ai l’impression qu’ils célèbrent une légende ancienne, un mythe qu’il faut vénérer pour être bien à sa place dans la société. La plupart d’entre eux affichent une ferveur molle et semblent se trouver là par habitude, pour expédier un devoir ennuyeux.
Cette fois, on a droit à la cérémonie de serrage de mains, tout le monde fraternise pendant quelques secondes avant de s’en retourner à ses affaires. Je ne me prive pas de serrer chaudement celles de la fille de devant, j’irais même volontiers plus loin dans la fraternisation, surtout quand elle se penche et que son corsage dévoile un peu plus la base de ses seins.
Nouvelle séance de chants, sur le péché et la Rédemption, je n’ai pas encore tout compris. Le Christ doit vraiment se faire chier là-haut sur sa croix, c’est à chaque fois la même histoire, qui finit mal pour lui en plus.
Après vient la cérémonie de l’hostie consacrée, tout le monde s’en va communier à la queue leu leu l’air repentant. C’est assez dégueulasse, je trouve, de manger le corps du Christ, déjà que des affreux l’ont clouté vivant sur un bout de bois ! En tout cas, ce n’est pas cette galette insipide qui va rassasier mon estomac qui commence à gargouiller, j’aurais dû manger davantage ce matin.
Un bébé se met à brailler sans interruption, la mauvaise mère est obligée de sortir avant la fin, elle n’a pas de mari, c’est pour ça que le gosse ne sait pas se tenir correctement, chuchote la rumeur.
Les pièces tintent, c’est l’heure de la quête, bientôt la quille, ma tante me donne de la menue monnaie, chacun doit jeter quelque chose dans le panier qui circule, c’est pour le chauffage et la réfection de la toiture. Il paraît que des tuiles sont tombées un dimanche dans la cour de l’école, ils ont dû installer des filets de protection.
Enfin, les derniers alléluias retentissent, les fidèles se dépêchent de sortir pour laisser Dieu et le prêtre à leurs utopies. Sur le parvis, les habitants papotent et se congratulent dans tous les coins. Certains hommes vont au café de l’autre côté de la place, des femmes se mettent en cercle et exhibent leur progéniture en comparant la progression des tailles. Mes camarades et moi, on s’échappe au plus vite, on est impatient de déguster les œufs au chocolat vendus par l’aide du curé, un vieux célibataire qui vient parfois donner des coups de main à ma grand-mère. Ils sont vraiment délicieux, fondants à point, la seule véritable preuve de l’existence de Dieu de la matinée, avec l’opulente poitrine de la paroissienne.
Entre les groupes agglutinés comme des poules, on rencontre des parents plus ou moins éloignés qui nous demandent où on en est à l’école, nous on espère surtout qu’ils nous payent d’autres œufs en chocolat.
Avec trois œufs dans le ventre, on peut attendre un peu pour le repas. Pendant que la famille finit d’échanger des potins avec les autres endimanchés, je regarde attentivement les jambes et les toilettes des femmes.
De retour à la ferme, on espère d’autres œufs pour le dessert. Le civet et son couscous sont fameux. Le bordeaux a bien arrosé le repas, le sang du Christ à ce qu’il paraît. Avec mon cousin, on a pu chiper quelques cerises à l’eau-de-vie, on est un peu pompette et on roule sous la table en tirant des chaussettes. La messe c’est très bien, surtout après.