Des vaches, on n’aperçoit que la tête et le cul quand elles sont à l’étable, pour les voir en entier, il faut attendre qu’elles aillent brouter dehors.
Pour soutenir leur production laitière l’hiver, en plus du foin, je dois leur donner des croquettes dans un vieux seau. Elles plongent le nez dedans et leur bave gluante s’enroule sur les parois. J’en profite pour leur gratter la tête, entre les deux yeux, là où la pelure douce est exempte de salissures.
A l’étable, elles peuvent vider leur cargaison de lait dans un caisson ventru en inox, des tuyaux noirs en sortent qui aspirent le précieux liquide blanc que l’on retrouve, sous une forme ou une autre, dans la composition de la plupart des produits alimentaires.
Je sais que le moment de la traite arrive quand j’entends le ronronnement de cette machine électrique qui soulage le pis des vaches. Parfois, il est tellement gonflé qu’elles ont de la peine à marcher, leur poche à lait ballotte à chaque pas sur les pattes arrière.
Avec la voisine, on guette la fin de la traite, ma grand-mère verse le lait dans les bouilles et on en boit un verre ou deux, tiède et moelleux, avant qu’il ne parte à la fruitière pour être transformé en gruyère ou en beurre.
Les vaches ne bronchent pas, elles ont l’habitude et doivent se sentir plus légères après.
Une chose à savoir : il vaut mieux éviter de se trouver derrière quand l’une d’entre elles se met à pisser, ce sont de véritables cataractes d’urine qui se déversent et tout est éclaboussé dans un rayon de deux mètres. C’est à peu près la même chose pour les matières fécales qu’il faut parfois pousser avec un racloir quand elles tombent trop loin de la grille d’égout.
Quand elles sont au champ, on ne s’approche pas aussi près qu’à l’étable, ce sont de grosses bêtes et il arrive que certaines vous foncent dessus sans prévenir. Les vaches laissent toujours des traces de leur présence dans le pré, au printemps c’est le retour des bouses qui constellent l’herbe verte de taches brunes, à l’automne elles écrasent les pommes avec leurs sabots. Quand on déplace les parcs électriques pour ménager les différentes parcelles d’herbe, il est fortement conseillé d’être chaussé de bottes en plastique car il est impossible de ne pas marcher au moins une fois en plein dans une bouse toute fraîche.
Les vaches sont assez obéissantes, quand ma grand-mère les appelle, elles finissent toujours par rappliquer les unes après les autres. Parfois, elle doit quand même envoyer la chienne pour faire accélérer les retardataires qui traînent sous les pommiers. En attente de nouvelles chutes de fruits, elles font semblant d’ignorer les cris.
Une tâche importante et fatigante échoit encore aux vaches jugées de bonne lignée : la reproduction. Ce n’est pas un taureau qui se charge de la fécondation, mais un inséminateur professionnel équipé de longs gants en caoutchouc, c’est plus scientifique que pour les chiens qu’on fait s’accoupler à l’ancienne à la cave. Là on choisit les bons gènes, ceux qui feront de la bonne viande ou de bonnes productrices de lait. L’inséminateur promène ses petites fioles triées sur le volet de ferme en ferme pour que s’améliorent les races et la productivité agricole.
En fait, il fait trop bien son travail vu que ma grand-mère n’arrête pas de dire qu’on ne sait plus que faire des surplus laitiers de la Communauté européenne.
Les bonnes vaches sont donc inséminées au moment de leurs chaleurs sans qu’on leur demande leur avis. Après viennent la grossesse et l’accouchement, on dit plutôt la mise bas pour les vaches. Le vétérinaire est présent à la sortie des nouveau-nés pour agir en cas de complications et tirer comme un âne sur les pattes de celui qui n’arrive pas à sortir. Des jaillissements liquides pas ragoûtants accompagnent la venue au monde de la ferme.
La plupart des veaux seront vendus, on gardera à la ferme juste quelques génisses pour remplacer les vieilles plus bonnes à grand-chose.
Ma grand-mère aime bien ses vaches, elles ont un numéro à l’oreille, mais elle les appelle par leur petit nom, des noms de fleurs généralement.